La Hierarchie du Ciel et de La Terre (version condensée)

Douglas Harding

http://www.amazon.com/dp/B00Z67Q0HO

Préface

par C. S. LEWIS

Ce livre est, je crois, la première tentative pour inverser un mouvement de pensée qui était en cours depuis le début de la philosophie.

D’un certain point de vue, le processus par lequel l’homme est parvenu à connaître l’univers est extrêmement compliqué, et d’un autre il est d’une simplicité alarmante. On peut observer une progression à sens unique. Au commencement, l’univers apparaît rempli de volonté, d’intelligence, de vie et de qualités positives : chaque arbre est une nymphe, chaque planète un dieu. L’homme lui-même est parent des dieux. Petit à petit, le progrès du savoir vide cet univers riche et avenant : d’abord de ses dieux, puis de ses couleurs, parfums, sons et saveurs, et finalement de sa solidité même telle qu’on l’imaginait à l’origine. Retirées du monde, ces choses sont transférées du côté subjectif du compte rendu, et classées en tant que sensations, pensées, images ou émotions nous appartenant. Le Sujet se gorge et enfle aux dépens de l’Objet. Mais l’affaire n’en reste pas là. La même méthode qui a vidé le monde s'apprête maintenant à nous vider nous-mêmes. Ses experts annoncent bientôt que nous nous trompions tout autant et de la même façon en attribuant des « âmes », des « moi », des « esprits » aux organismes humains, qu’en attribuant des dryades aux arbres. Apparemment l’animisme commence chez nous. Nous, qui avons personnifié toutes les autres choses, nous révélons être nous-mêmes de simples personnifications. L’homme tient réellement des dieux, c’est-à-dire qu’il n’est pas moins fantomatique qu’eux. Tout comme la Dryade est un « fantôme », un symbole abrégé de tous les faits que nous connaissons sur l’arbre et que, de manière insensée, nous avons pris pour une entité mystérieuse au-dessus et au-delà des faits, « l’esprit » de l’homme, sa « conscience » est un symbole, un raccourci, de certains faits vérifiables de son comportement, symbole que nous prenons, par erreur, pour une chose. Et tout comme nous avons perdu la mauvaise habitude de personnifier les arbres, nous devons maintenant perdre la mauvaise habitude de personnifier les hommes – réforme déjà effectuée dans le domaine politique. Il n’y a jamais eu de compte subjectif sur lequel nous aurions pu transférer les attributs que l’Objet avait perdus. Il n’y a pas de « conscience » pour contenir, sous forme d’images ou d’expériences personnelles, tous les dieux, couleurs et concepts perdus. Conscience n’est « pas le genre de mot qui peut être utilisé de cette façon ».

On nous donne à entendre que notre erreur était d'ordre linguistique. Toutes nos anciennes théologies, métaphysiques et psychologies étaient le sous-produit d’une faute de grammaire. La formule de Max Muller (la mythologie est une maladie du langage) est donc à nouveau à l’honneur, et avec une portée bien plus grande qu’il ne l’avait jamais rêvé. Nous n’imaginions même pas ces choses, notre discours était simplement confus. Toutes les questions que l’humanité a posées jusqu’ici avec le plus grand souci d’y répondre se révèlent être des questions auxquelles il est impossible de répondre, non que les réponses soient cachées comme étant « trop proches de Dieu », mais parce que ce sont des questions absurdes, comme « Quelle est la distance entre le Pont de Londres et Noël ? » Ce que nous croyions aimer lorsque nous aimions une femme ou un ami n’était même pas un fantôme comme la voile fantôme que les marins affamés croient voir à l’horizon. C’était plutôt quelque chose comme un calembour ou un sophisme. C’est comme si un homme, induit en erreur par l’analogie linguistique entre « mon moi » et « mes lunettes », se mettait à chercher son « moi » pour le mettre dans sa poche avant de quitter sa chambre, le matin, car il pourrait en avoir besoin au cours de la journée. Si nous pleurons la découverte que nos amis n’ont pas de « moi » au sens ancien de ce terme, nous nous comportons comme une personne qui verserait des larmes amères parce qu’elle serait incapable de trouver son « moi » quelque part, ni sur la commode ni même en dessous.

Nous arrivons ainsi à un résultat qui ressemble singulièrement à zéro. Lorsque nous réduisions le monde à presque rien, nous nous faisions illusion en imaginant que toutes ses qualités perdues étaient en sécurité (même diminuées) sous forme de « choses dans notre propre esprit ». Il semble que nous n’ayons aucun esprit du genre requis. Le Sujet est aussi vide que l’Objet. Presque personne n’a fait d’erreur linguistique sur presque rien. À tout prendre, c’est la seule chose qui se soit jamais passée.

L’ennui avec cette conclusion, ce n’est pas simplement qu’elle est mal accueillie par nos émotions. Elle ne l’est pas toujours, par elles, ni par tout le monde. Cette philosophie a ses agréments, comme toutes les autres. Et je pense qu’elle se révélera très agréable pour le gouvernement. Tous les discours sur la liberté étaient très imprégnés de l’idée que, le dirigeant étant à l’intérieur de même que le sujet, il y avait tout un monde – pour lui le centre de tous les mondes – ouvert à des souffrances et des joies infinies. Mais maintenant, évidemment, il n’a pas d’ « intérieur », excepté ce que l’on peut trouver en le coupant en deux. Si je devais brûler un homme vif, je pense que je trouverais cette doctrine très confortable. La véritable difficulté, pour la plupart d’entre nous, est plus une difficulté physique : il nous est impossible de maintenir nos esprits, même pendant dix secondes, contorsionnés dans la forme que cette philosophie exige. Et, pour lui rendre justice, Hume (son grand ancêtre) nous a avertis de ne pas essayer. Il recommandait le backgammon à la place ; et admettait volontiers que, quand après avoir joué un certain temps nous retournerions à notre théorie, nous « la trouverions froide, contrainte et ridicule ». Et de toute évidence, si nous devons vraiment accepter le nihilisme, c’est ainsi que nous devrons vivre : tout comme si nous avons le diabète, nous devons prendre de l’insuline. Mais nous préférerions ne pas avoir de diabète et nous passer d’insuline. S’il devait se trouver, après tout, une alternative à une philosophie qui ne peut fonctionner qu’accompagnée de doses répétées (et sans doute croissantes) de backgammon, je suppose que la plupart des gens seraient heureux d’en entendre parler.

Il y a en fait (me dit-on) une façon de vivre selon cette philosophie sans le backgammon, mais elle n’est guère tentante. J’ai entendu dire qu’il y a des états de folie dans lesquels ce genre de doctrine nihiliste devient vraiment croyable : c'est-à-dire, comme le Dr I. A. Richards le dirait, qu'il existe des « sentiments de croyance » qui lui sont attachés. Le patient fait l’expérience de n’être personne dans un monde où il n’y a ni personne ni rien. Ceux qui ont vécu cela décrivent cette condition comme extrêmement désagréable.
La tentative n’est pas nouvelle pour arrêter le processus qui nous a conduits de l’univers vivant où l’homme rencontre les dieux, au vide final où presque-personne ne découvre ses erreurs au sujet de presque-rien. Chaque étape du processus a été contestée. Des actions d’arrière-garde ont été menées, dont certaines encore en ce moment. Mais il n’a été question que d’arrêter, pas d’inverser le mouvement. C’est cela qui donne toute son importance au livre de Mr. Harding. Si ça « fonctionne », alors nous verrions le début d’un renversement : non pas une position ici, ou une position là, mais une sorte de pensée qui tente de reconsidérer toute la question. Et nous sommes certains d’avance que seule une pensée de ce type peut nous aider. L’erreur fatale qui nous a conduits au nihilisme doit s’être produite tout au début.

Il n’est pas question, évidemment, de revenir à l’Animisme d’antan avant que le « pourrissement » n'ait commencé. Personne ne pense que les croyances de l’humanité préphilosophique, telles qu’elles étaient avant d’avoir été soumises à la critique, pourraient ou devraient être restaurées. La question est de savoir si les premiers penseurs qui ont voulu (à juste titre) les modifier, en raison des critiques qui leur étaient faites, n’ont pas fait certaines concessions imprudentes et inutiles. Ce n’était certainement pas leur intention de nous imposer les conséquences absurdes qui en ont en fait découlé. Cette sorte d’erreur est évidemment très fréquente dans les débats, ou même dans nos raisonnements solitaires. Nous partons d’un point de vue qui contient beaucoup de vérité, bien que sous une forme confuse ou exagérée. Des objections nous sont alors suggérées et nous l’abandonnons. Mais quelques heures plus tard, nous découvrons que nous avons jeté le bébé avec l’eau du bain et que notre vision originale contenait certaines vérités dont l’absence, maintenant, nous plonge dans l’absurdité. Comme c’est le cas ici. En effaçant les dryades et les dieux (qui, il est vrai, n’avaient plus de sens tels qu’ils étaient) il semble que nous ayons effacé tout l’univers, y compris nous-mêmes. Nous devons faire marche arrière et tout recommencer. Cette fois-ci avec une meilleure chance de succès, car bien sûr nous pouvons désormais utiliser toutes les vérités de détail et les progrès méthodologiques que nous avions peut-être rejetés comme accessoires dans cette démarche par ailleurs ruineuse. 

 
Ce serait de l'affectation de prétendre que je sais si la tentative de M. Harding, sous sa forme actuelle, fonctionnera. Il est très possible que non. On ne s’attend guère à ce que la première (ni même la vingt et unième) fusée envoyée sur la Lune fasse un bon atterrissage. Mais c’est un début. Si elle devait se révéler avoir été même l’ancêtre lointain d’un système qui nous redonnera un univers crédible, habité par des acteurs et observateurs crédibles, ce livre aurait été une œuvre très importante, en vérité.

Il m'a aussi donné cette expérience tonifiante et satisfaisante, qui dans certains livres de théorie, semble être partiellement indépendante de notre accord ou de notre désaccord final. C'est une expérience dont on se dégage facilement en se rappelant ce qui nous arrive quand nous nous détournons des partisans inférieurs d'un système, et même d'un système que nous rejetions, pour aller consulter ses grands docteurs. J'ai dû me détourner des « existentialistes » pour aller lire monsieur Sartre lui-même, des calvinistes pour aller consulter l'Institutio, des « transcendantalistes » pour aller lire Emerson, des livres à propos du « platonisme de la Renaissance » pour aller consulter Marsile Ficin. On peut continuer à ne pas être d'accord (et je suis vivement opposé à tous les auteurs que je viens juste de nommer) mais on voit maintenant pour la première fois pourquoi on n'y a jamais adhéré. On a respiré un air nouveau, on s'est libéré en arrivant dans un nouveau pays. Ce peut être un pays dans lequel on ne peut pas vivre, mais on sait maintenant pourquoi ses habitants l'aiment. À partir de là, on peut lire tous les systèmes un peu différemment parce que l'on aura été à l'intérieur de chacun. De ce point de vue les philosophies ont certaines des mêmes qualités que les œuvres d'art. Je me réfère pas du tout à l'art littéraire avec lequel elles peuvent ou ne peuvent pas être exprimées. Mais à leur ipséité, à l'unité particulière des faits produite par un équilibre spécial et une structuration particulière des pensées et des classes de pensée : un délice qui est très semblable à celui que donnerait le Jeu des perles de verre de Hesse (dans le livre du même nom) si ce jeu avait réellement existé. Je dois une nouvelle expérience de cette sorte à monsieur Harding.

 

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